Cela fait 1 an que Echoes of the Eye est sorti. Un DLC qui a, ironiquement, manqué d’écho dans la presse vidéoludique. Cela peut s’expliquer, en partie, par le fait que beaucoup avaient déjà un œil sur 2022 (et un certain Elden Ring). Mais sûrement aussi à cause de la pandémie et de ses petits bouleversements de calendrier changeant l'actualité des sorties et annonces à l'automne 2021. Quelque chose d'un peu regrettable.
On parle quand même d’une offre de contenu supplémentaire pour un jeu qui s’est pas mal imposé comme GOTY indépendant en 2019. Peut-être que Echoes of the Eye s’est-il aussi fait éclipser par des concurrents trop sérieux en 2021 ? C’est possible. Alors, pourquoi revenir sur Echoes of the Eye pour cet anniversaire de sortie ? Afin de lui rendre justice et mettre en lumière pour une fois un DLC, je vais revenir sur le jeu avec plusieurs arguments. Attention, les spoilers sont partout.
CAMOUFLAGE QUANTIQUE
Commençons par le premier argument : l’aspect surprise, le tout avec une petite note personnelle. Vous l’avez sans doute remarqué ici ou encore là, il est possible que j’apprécie pas mal Outer Wilds. Un amour qui a tendance à frôler l’obsession, mais difficile de faire autrement tant ce jeu m’a bouleversé. Alors forcément, quand je l’ai terminé, j'ai enchaîné sur une période de vide vidéoludique. À l’instar de beaucoup de joueurs et joueuses, j’ai compensé le manque en suivant, amusé et envieux, les lives de streamers qui avaient encore la chance ou l’opportunité de la découverte. J’en profite pour remercier ainsi Antoine Daniel, Shisheyu, et quelques autres dont j’ai pu suivre les aventures avec intérêt (suivi qui aurait presque mérité un dossier sur les nouvelles manières d’appréhender le jeu vidéo via le streaming).
Quoiqu’il en soit, comme on accepte la fin de l’Univers dans le jeu, j’ai accepté, à cette époque, celle d’Outer Wilds dans ma vie. Jusqu'au 10 juin 2021. Par le biais de quelques images d’un trailer teasant le Showcase d’Annapurna Interactive, on apprenait que tout n’était peut-être pas terminé. Une euphorie initiale qui cachait aussi un peu de crainte : celle de voir un studio dépassé par son succès et fatalement tenté de créer le contenu de trop. Surtout que le trailer dévoilé par Mobius Digital un mois et demi plus tard, le 29 juillet, faisait planer un doute. Les rares indices qu’on pouvait y déceler laissaient croire à l’ajout de quelques lieux sur un des astres déjà présents. Sauf que les développeurs et développeuses, à la surprise générale, ne se sont pas contenté(e)s de mettre en place deux ou trois points d’intérêts à explorer. Oh que non.
Ainsi se trouve ici la première réussite de ce DLC et qui devrait servir d’exemple pour des cas similaires : rester le plus longtemps possible dans le secret jusqu’à la sortie. Le jeu vidéo commence à avoir trop tendance à copier le cinéma et ses annonces des semaines, mois ou même années à l’avance, à base de multiples trailers qui dévoilent tout ou presque. Pour Echoes of the Eye, ce fut l’inverse. Car en plus d'avoir évité toute pub insupportable, on ne retrouvait dans le trailer qu'une petite énigme à base de timing et de photos. Celle-ci utilisait des connaissances acquises précédemment dans Outer Wilds, mais prendra tout son sens lorsque l’on découvrira ce qui sera le terrain d’exploration du DLC. Rien ne laissait présager la présence d'un objet spatial immense qui ouvre véritablement le contenu et dont on va reparler après.
Par cette simple introduction, l’équipe de Mobius Digital a prouvé qu’elle avait compris pourquoi son travail avait tant plu : le vertige de la découverte en tant que récompense à l’utilisation des connaissances acquises en jeu. La grandeur d’Echoes of the Eye vient en grande partie de sa faculté à surprendre autant le joueur ou la joueuse qui découvre le jeu à partir de rien, que celui ou celle qui a connu Outer Wilds. Toutes et tous s’engouffrent dans ce contenu additionnel sans se douter de ce qui les attend.
Il était pourtant possible de lire sur Twitter que certain(e)s n’avaient pas retrouvé le même frisson de l’exploration. Un raisonnement difficile à comprendre, notamment suite à deux gros déclics qui arrivent en jeu après quelque temps. Une fois le petit puzzle dont je parlais juste au-dessus résolu, on découvre donc l’image saisissante d’une ombre gigantesque sur le Soleil. Si on a vu la bande-annonce auparavant, on a déjà en tête son caractère dérangeant, mais en jeu l’effet est encore plus perturbant. Il y a un aspect menaçant à constater la présence de cette tache noire massive dans un système solaire que l’on a, pour beaucoup, longtemps parcouru, voire découvert en totalité ou presque. Passé cet effet, reste ainsi à enquêter. On vole avec un peu d’appréhension jusqu’à la zone sombre, on avance quelques secondes dans le noir complet et apparaît sous nos yeux une structure spatiale gigantesque. Il s’agit du début du premier choc.
DÉCLICS ET DES CLAQUES
On passe ainsi au deuxième argument : la création de moments marquants. Je parlais juste au-dessus d'un début pour le premier choc, car on décèle dans la structure un hangar ouvert, à l’intérieur duquel on peut se poser. Des vaisseaux y sont entreposés, mais rien qui ne ressemble à ce qu’on a pu connaître de la technologie Nomai. On explore et on finit par entrer dans une pièce sombre faite de bois. On active alors un panneau au fond de cette pièce et soudain, le sol donne l’impression de s’effondrer. Mais celui-ci est en fait un radeau et nous voici désormais en train de flotter dans des rapides. Un peu désorienté, étonné par l’incroyable musique qui se déclenche, on lève la tête et c’est là qu’on reçoit la fin du premier choc. Nous voici à l’intérieur d’un gigantesque anneau, à la fois objet stellaire et planète artificielle.
Il ne s’agit pas d’une maigre lune à l’orbite ennuyeuse, mais d'un vaisseau-planète, un anneau fabriqué de toute pièce, si vaste qu’il vient agréablement altérer nos connaissances quant au fonctionnement d’un système solaire qu’on imaginait familier. Cette immense structure spatiale renvoie une fois de plus à l’idée de cycle avec cette fois une échelle différente. Exit autant le bal des planètes de Outer Wilds que l’écoulement régulier des Sablières. On est ici sur un monde nouveau, fermé sur lui-même, mais aussi vaste que Atrebois et Cravité réunies. Une nouveauté qui, là encore, me paraît en capacité de faire taire les critiques sur l'étendue du monde explorable offert par ce DLC. Arrive de toute façon un argument imparable. Un moment qui offre littéralement davantage de profondeur à ce DLC. Car si jusque-là nous avons été témoins d'instants de découverte qui rentrent dans le cadre d’Outer Wilds, Echoes of the Eye change de registre afin d’offrir un nouvel aspect. Un dernier rappel ici pour celles et ceux qui auraient bravé l’alerte de spoils : vous pouvez encore fuir.
Digression sur pourquoi j'appelle les habitants de l'Étranger les Chouettis
J’avais finalisé cet article avant la sortie du podcast bonus de Fin du Game (que j’adore, merci à eux pour leur boulot en général) dédié à ce jeu, car TPP était en « vacances » et que ça me paraissait intéressant d’attendre l’anniversaire de 1 an d’Echoes of the Eye. Globalement, je suis d’accord sur l’ensemble de leur analyse, mais il faut parler d’un sujet d’importance capitale (bon peut-être pas tant que ça) : le terme de « Cerhiboux » pour qualifier les habitants de l’Étranger. En anglais, ils sont appelés Elkowl, ou Owlk, ou tout simplement Stranger’s Inhabitants. Dans les crédits, ils sont appelés Elk, c'est-à-dire des wapitis ou des élans en français et leur cri tient clairement de l’enregistrement du brame d’un wapiti. On a donc des éléments de cet animal : le cri, la présence de bois juchés sur leurs crânes et des sabots à leurs pattes. Mais leurs corps recouverts de plumes, leurs têtes aux yeux perçants et leur amour de la vie nocturne ramènent inévitablement aux chouettes ou aux hiboux. D’où le rapprochement « owl » de beaucoup de joueurs et joueuses anglophones, « owl » signifiant « chouette » ou « hibou », car il n’y a pas chez eux de différence. Puisqu'en français, nous n’avons pas non plus uen traduction officielle pour les habitants de l’Étranger, ceci explique mon choix de « Chouettis » (ça sonne mieux que Hiboutis, Wapitettes, Chouapitis ou Cerhiboux).
En réalité, évidemment vous pouvez les appeler comme vous voulez, mais je rêve d'un débat faussement houleux pour déterminer le nom exact. C'était surtout pour que vous sachiez pourquoi j’utilise ce terme après. Digression terminée.
Vous avez bravé la dernière ligne de prévention des spoilers, vous avez donc sûrement une idée de ce dont je vais parler : il s'agit du cas des Artefacts. Un terme évocateur puisqu’il sous-entend une forme d’importance liée à la civilisation qui l’a conçue et qui pousse à le garder comme un objet essentiel. Un détail pas si anodin.
En effet, l'Artefact nous permet, en apparence, de passer dans « l’autre monde », c'est-à-dire la planète natale des habitants de l’Étranger, les Chouettis. Une fois compris le fonctionnement basique d’un Artefact, il devient essentiel de tenter d’optimiser les 22 minutes accordées pour l’obtenir et le garder le plus rapidement possible. Cela peut prendre beaucoup de temps pour découvrir la fonctionnalité « cachée » de cet objet. Pas mal de gens ont eu le déclic dans une des Archives. Après une suite de diapositives, on est plus ou moins invité à s’éloigner et à laisser l’Artefact sur le piédestal où il reposait. On a alors la surprise totale de découvrir la réalité du monde dans lequel on évolue. Depuis le départ, en explorant ce qu’on croit être la planète des Chouettis, on est en fait dans quelque chose de virtuel. Une simulation, rappelant la matrice de Matrix ou l'univers de Tron.
La compréhension même de l’Étranger change à partir de cet instant. On comprend ce qui était illustré depuis le départ par quelques diapositives qu’on voyait comme cryptiques, mais désormais limpides. Les Chouettis, ayant captés un signal de l’Œil de l’Univers, ont décidé de tout sacrifier pour s’en rapprocher : ils ont ponctionné, asséché et épuisé toutes les ressources de leur monde afin de créer un vaisseau au service de leur obstination mystique. Après s’être rapprochés de leur objectif, ils ont finalement capté le signal de l’Œil et l’ont interprété à leur manière : une brève image où il allait provoquer la disparition de l’Univers entier. Conscients d’avoir tout sacrifié pour en arriver là, cette nouvelle vision les a anéantis. Mélancoliques, ils ont décidé de construire une simulation de leur propre monde. C’est pourquoi les rares Chouettis que l’on croise dans leur univers virtuel sont belliqueux : que ça soit parce qu'ils savent qu'ils sont physiquement morts depuis des milliers d'années et craignent de sortir de la simulation ou parce qu’ils se sont trop investis dans cette dernière et se sentent agressés, oubliant que tout cela n’est pas réel.
Trois thématiques
Le troisième et dernier argument, c’est la réussite totale d’Echoes of the Eye qui met en place trois manières de renouveler Outer Wilds tout en les liant au lore de base. Et c’est peut-être maintenant que la qualité du jeu apparaît le mieux. On peut admettre les critiques faites aux choix inattendus en matière de gameplay et l’ajout du facteur peur instauré par la présence des Chouettis. En effet, il est possible de ressentir une légère frustration à force de se voir freiner dans son raisonnement et ses déplacements par l’intervention d’êtres au comportement un peu imprévisible. Mais quand certain(e)s ont pu dire que Echoes of the Eye serait « juste un gros donjon » difficile de ne pas y voir de la mauvaise foi. Ce DLC troque le vertige de l’espace pour celui de la mise en abyme. Si l’on n’erre plus dans l’immensité spatiale, on se retrouve à gérer un environnement qui bouleverse nos repères et change nos perspectives. Le cycle d’effondrement du barrage installe même un nouveau timing qui s’ajoute à la fameuse limite connue des 22 minutes. La découverte progressive de l’Étranger, son existence autant que son contenu, forme une manière inattendue d’appréhender l’histoire d’Outer Wilds dans son ensemble. Les quelques instants d’angoisse qu’il est possible de ressentir se trouvent en plus tempérés par l'effervescence de la découverte. Un renouvellement qui créer trois nouvelles manières de voir le jeu.
La première, c'est une quasi mise en abyme voulue par la construction même de l'exploration. Quelque chose que l'on observe par le biais de l’Artefact qui ouvre sur le monde fictif des Chouettis. Avant Echoes of the Eye, on avait ce schéma : la galaxie d'Outer Wilds dans son ensemble, les planètes qui y gravitent, puis leurs surfaces à parcourir et enfin les structures à l'intérieur de ces dernières. Le DLC nous amène des niveaux de profondeur supplémentaires puisque sur l'Étranger, on peut explorer le monde fictif des Chouettis et la zone où se trouve le Prisonnier. Une mise en abyme quasi littérale et qui fonctionne toujours à merveille avec le gameplay d'exploration comme avec la résolution des énigmes et puzzles plus ou moins complexes.
La deuxième façon, c'est par l'existence d'un effet papillon inattendu, car on apprend au final que le lore se révèle plus complexe que ce qu'on imaginait. La présence des Nomai n'est en réalité qu'une conséquence des Chouettis qui eux-mêmes ne sont pas grand-chose au regard de l'univers du jeu. En témoigne notre échange avec le Prisonnier. En choisissant de rompre brièvement son exil virtuel, il s'est condamné, mais c'est ce même acte qui enclenche l'ensemble des événements de Outer Wilds. Comment ? Le Prisonnier a délibérément stoppé le brouillage du signal, qui a, pendant un court instant, pu se transmettre dans l'Univers entier, arrivant, par hasard, jusqu'aux capteurs d'un vaisseau Nomai. Ces mêmes Nomais dont les connaissances avancées sur l'espace et le temps ont été récupérées par les Atriens via des recherches xénoarchéologiques. Et ce sont ces travaux qui ont permis au protagoniste d'atteindre finalement l'Œil de l'Univers. Un effet papillon qui trouve sa conclusion lorsqu'on tente de rejoindre l'Œil, une fois Echoes of the Eye terminé.
La troisième, c'est le parallèle entre le joueur et l'Atrien. Évidemment, la vue à la première personne forme déjà dans le jeu original un moyen de se mettre à la place du personnage principal. Mais Echoes of Eye a innové en introduisant le monde virtuel des Chouettis. Cette nouvelle perspective peut être vue comme une excellente métaphore de ce que vit le joueur. En effet, quand l’Atrien se « télécharge » dans la simulation des Chouettis, il découvre un monde réaliste, mais pourtant totalement fictif. Il suffit pour lui de poser l’Artefact et de faire quelques pas pour se rendre compte que rien n’est réel. Forcément, après la mise en abyme, et l'effet papillon, c'est ici un parallèle évident dès lors que l’on se rapproche de notre condition de joueur ou de joueuse : l’Atrien entre dans la fausse planète natale des Chouettis comme nous entrons dans Outer Wilds et son univers.
Echoes of Eye crée des couches supplémentaires au lore et fait évoluer son gameplay, mais on ne ressent jamais de rupture par rapport à ce qui existait dans Outer Wilds. L'idée de navigation libre au cœur d’une grande horlogerie spatiale est remplacée par divers moyens habiles à mesure que l’on progresse dans le DLC et que l'on découvre la profondeur littérale de ce dernier. Ce DLC était le meilleur cadeau que Mobius Digital pouvait faire à celles et ceux qui ont aimé Outer Wilds, mais aussi à celles et ceux qui ont encore la possibilité de le découvrir.
Echoes of the Eye est finalement un excellent prisme de réflexion en tant que jeu seul et en tant que contenu additionnel. En tant que jeu seul, il met encore plus l'accent sur la transmission du savoir, la perception et l’impact des civilisations, le rapport au temps en général et le rôle du joueur dans un « gameplay de la connaissance ». En tant que contenu additionnel, il s'est vu reléguer par beaucoup à de la création secondaire et cela a sûrement joué dans son succès, plus discret que celui d'Outer Wilds. Ouvrant la voie à de nombreuses questions : quelle est la valeur d’un DLC par rapport à un jeu seul ? À quel moment un contenu supplémentaire doit-il être considéré comme jeu vidéo à part entière ? Est-ce qu’un jeu vidéo testé à sa sortie et qui obtient par la suite un DLC doit être forcément retesté ? Et si oui, comment ? Des angles d'analyses qui seraient intéressants à aborder dans le futur.
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