Développé en 2019 lors de la ludum dare 445, Terra Nil vient de sortir en version complète, fruit d’un partenariat entre les développeurs d’origine et le studio sud-africain Free lives. Sur la promesse d’un city builder inversé, il propose une expérience originale qui repose sur des mécaniques classiques.
Comme je le disais à l’occasion de la sortie de Pharaoh: A New Era, j’aime les city builders, mais ces derniers temps, la perspective de développer sans fin des villes et des mondes ne m’enchante plus autant. La faute peut-être à une pléthore de propositions un peu trop similaires, mais aussi, sans doute, à la crise climatique et sociale qui rend le concept très capitaliste de croissance infinie un peu amer. Lorsqu’au hasard de Twitter quelqu’un·e a mentionné l’existence d’une démo pour un city builder inversé, ma curiosité a été piquée. Si l’on ne peut pas m’accuser d’être quelqu’un de très contemplatif dans la vie de tous les jours, j’ai pourtant passé un long moment à regarder avec émotion une terre stérile revenir à la vie. Depuis sa démo, Terra Nil a peaufiné son interface, ajouté des mécaniques de jeu et des environnements pour proposer une expérience complète d’une durée limitée (même s’il est possible d’y revenir pour le plaisir) qui fonctionne parfaitement.
Nature finds a way… mais avec un peu d'aide
Dans Terra Nil, pas de narration à proprement parler, il n’y a pas d’histoire, pas de protagonistes, vous devez simplement restaurer une terre devenue stérile avant d’effacer toute trace de votre passage et de partir. Pas d’histoire donc, mais une narration environnementale, certes limitée, mais qui suffit à comprendre l’essentiel. Pour chacun des quatre environnements, le principe est le même, en trois phases documentées dans un joli carnet : il faut réhabiliter au mieux l’environnement proposé, d’abord en rendant fertiles des terres arides et stériles et en nettoyant les eaux polluées, puis en recréant des biomes (trois ou quatre selon l’environnement) et pour finir en recyclant toutes les infrastructures pour ne laisser aucune trace visible de votre passage.
Les bâtiments utiles pour chaque phase se débloquent au fur et à mesure (et changent selon les environnements) et nécessitent chacun des paramètres différents. Ainsi l’éolienne ne peut être placée que sur des rochers, la machine qui crée des zones humides ne peut pas être placée en hauteur, les fynbos (formations végétales naturelles caractéristiques du sud de l'Afrique du Sud) ne peuvent être créés qu’à partir d’une ruche dans un arbre, etc. Il se peut ainsi que lors d’un premier essai, les décisions prises lors de la première phase ne permettent pas de réussir la seconde, mais le jeu invite à tout moment à recommencer la carte avec ces nouvelles connaissances pour mieux arriver à ses fins.
Chaque action coûte des points symbolisés par des feuilles. Selon que l’action crée ou non de la nouvelle végétation, elle peut en coûter ou en rapporter. Plus de feuilles disponibles et on se retrouve bloqué avec la possibilité de recommencer toute la carte ou seulement la phase en cours. Car Terra Nil ne propose la possibilité de n’annuler que la dernière action (sauf en mode facile), tout le reste est définitif, ce qui peut être légèrement frustrant, mais s’intègre assez bien dans la philosophie du jeu.
À cela vient s’ajouter une mécanique qui permet de jouer sur le climat, en augmentant ou baissant la température et l'humidité ambiante. Chaque objectif atteint fait gagner des points, mais surtout permet littéralement à la nature de revivre. Plus les objectifs sont atteints, plus la nature travaille avec vous pour restaurer l'environnement. Les oiseaux reviennent, les nénuphars refleurissent, la pluie se remet à tomber et réhabilite les zones stériles.
Fondamentalement, aucune de ces mécaniques n'est particulièrement nouvelle, les conditions préalables à la construction, le fait de gagner des points en fonction du placement d’un bâtiment, remplir des objectifs pour gagner des points : il s’agit effectivement de mécaniques de base des jeux de type city builders et puzzle games, mais c’est ce que créent ces mécaniques qui est rafraichissant et profondément satisfaisant.
Écouter pousser les fleurs
Chaque action a des conséquences concrètes sur l’environnement. Ainsi, arroser une terre dépolluée permet de faire revenir l’herbe, avec les bonnes conditions climatiques les algues repoussent dans la mer, les aurores boréales balaient le ciel et les oiseaux migrateurs survolent la carte et il y a quelque chose de profondément satisfaisant à voir la nature revivre. Une satisfaction que j’imagine, dans un autre registre, vivent celles et ceux qui se sont lancés dans PowerWash Simulator ou ma drogue du moment House Flipper. Sans vouloir faire de la psychologie de comptoir, il n’est pas absurde de penser que dans ces deux cas de figure, cette satisfaction trouve, au moins en partie, sa source dans l'impact ultra-concret et visible (et bénéfique, au moins dans le cadre du jeu) de nos actions quasiment en opposition avec le monde actuel où tout semble un peu lointain et dématérialisé.
Terra Nil n’offre pas à proprement parler de réponse à la crise environnementale actuelle, mais invite à prendre le temps de se poser, à ne plus penser croissance exponentielle, mais cycles vertueux qui s’autoalimentent, en termes de réhabilitation/habitabilité plutôt qu’en termes de score (qui n’est pas comptabilisé), en qualité plutôt qu'en quantité. Ce qui n'est certes pas totalement inédit, mais bienvenu.
Il serait désobligeant de ne pas mentionner, à ce stade, à quel point Terra Nil est joli, avec ses couleurs douces et ses détails soignés, son interface agréable, le superbe carnet qui guide le joueur dans sa progression, ses animaux et ses plantes. Lorsque l'environnement est réhabilité, on peut passer de longs moments à admirer le monde vivant que l’on laisse derrière soi. Avec ses trois niveaux de difficulté et quatre environnements plus quatre mondes bonus, l’ensemble dure entre cinq et une quinzaine d’heures. S’il faut être honnête et dire que certains bâtiments ne sont pas très intuitifs et qu’il faut parfois s’y reprendre plusieurs fois pour bien comprendre comment ça marche, c’est un défaut relativement mineur sur l’ensemble qui fonctionne parfaitement.
Deux points pour finir, tout d'abord, si par ses mécaniques et son propos, l’appellation de « city builder inversé » est tout à fait légitime, Terra Nil tient autant, sinon bien davantage, du puzzle game et de la stratégie que du city building. Et pour conclure, il faut noter que Free Lives s’est engagé à reverser une partie de ses bénéfices à Endangered Wildlife Trust, une ONG sud-africaine se « concentrant sur la conservation des espèces et des écosystèmes menacés ».
Terra Nil a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est aussi disponible sur iOS et Android.
Autant city builder inversé que puzzle game, Terra Nil s'appuie sur des mécaniques classiques pour proposer une expérience originale, contemplative et profondément satisfaisante. Avec ses différents niveaux de difficulté, Terra Nil n'oublie pas d'être un puzzle game efficace qui proposera une bonne dose de challenge aux habitué·e·s tout en restant parfaitement abordable pour celles et ceux qui le sont moins.
Les + | Les - |
- Très jolie DA | - Presque trop court |
- Des mécaniques efficaces… | - … mais pas toujours très intuitives |
BatVador
Traductrice ascendante topiaire qui aime les city builders, les dystopies et les jeux avec des gens déprimés dedans.
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