En 2016, Night School Studio créait la surprise avec le stupéfiant jeu d'aventure narrative Oxenfree, perdant une bande dysfonctionnelle d'adolescents sur une île en proie à des phénomènes étranges. Désormais acquis par Netflix, le studio nous revient en 2023 avec une suite directe, toujours centrée autour de dialogues fluides et des phénomènes horrifiques surgis de vieux transistors grésillants.
Comme signalé de manière très peu subtile dans mes dernières Miettes de l'Actualité, je ne suis pas tout à fait neutre quand on parle d'Oxenfree : il s'agit de mon GOTY de l'époque, et du titre qui m'a donné sérieusement envie d'écrire sur les jeux vidéo. La direction artistique superbe et le sens du dialogue percutant de l'équipe assemblée par des anciens de Telltale et de Disney fonctionnaient parfaitement, et arrivaient à dérouler une histoire assez incroyable (et profondément triste) sur quatre ou cinq heures extrêmement intenses. Il me semblait néanmoins un peu difficile d'arriver à passer après la conclusion assez définitive des aventures d'Alex et ses amis sur l'île d'Edwards, dans l'Oregon. Pourtant, loin de faire un pas de côté (comme pouvait le faire le pas très réussi Afterparty, du même studio), Oxenfree II: Lost Signals tente plutôt l'attaque frontale. Nous sommes ici dans la continuité directe de ce que proposait le premier jeu, bien que l'intrigue se déroule quelques années plus tard et dans un lieu (très) légèrement différent. Un pari risqué, en grande partie réussi, mais qui sacrifie à mon sens un peu son nouveau casting sur l'autel des zones d'ombre du premier jeu de la série.
Pas sur la même longueur d'onde
Si vous avez raté un épisode, signalons déjà que Netflix a tout prévu en vous concoctant un résumé du premier Oxenfree. Et si vous ne voulez pas vous infliger ça, hé bien sachez que dans Oxenfree, il était question de diriger une jeune fille sur une île en manipulant des ondes radio pour échapper à des trucs tandis qu'il fallait arriver à faire face à des souvenirs difficiles, en étant accompagné d'un personnage avec qui on avait des conversations. Et que dans Oxenfree II, il est donc question de diriger une jeune femme en face de cette même île, en manipulant des ondes radio pour échapper à des trucs tandis qu'il faut arriver à faire face à des souvenirs difficiles, en étant accompagné d'un personnage avec qui on a des conversations, mais pas pareil. Il n'est cependant pas inintéressant d'avoir un scénario en forme de redite, vu que se dégage de la thématique de la série l'idée de boucle, de piège et de perpétuel recommencement.
Il ne faudrait néanmoins pas réduire Oxenfree II à une sorte d'écho du premier, ne serait-ce que parce que le casting des deux jeux est finalement assez différent. Finie la bande d'ados insupportables. On incarne ici Riley, une jeune trentenaire athlétique, ancienne militaire et originaire du coin. On nous fait rapidement entendre que sa vie ne va pas très fort, et qu'un événement familial l'a obligée à prendre un petit boulot dans sa ville natale, au bord du Pacifique. Sa mission, fournie à distance par talkie-walkie par une certaine Evelyn : aller placer sur les hauteurs de la ville des émetteurs pour permettre de relever des données sur des anomalies sonores et climatiques en provenance de l'île d'en face. Ces dernières se sont en effet aggravées depuis qu'une bande d'ados y aurait trafiqué de vieilles installations militaires, quelques années plus tôt.
Dans son périple, Riley ne sera pas seule : elle va rapidement se voir flanquer un collègue de travail, un certain Jacob, factotum habitué à réparer et bricoler des trucs dans la région. Un peu paumé, lui aussi, Jacob compense l'impression d'être passé à côté de sa jeunesse en parlant et en plaisantant beaucoup, et c'est donc à lui que Riley va devoir donner la réplique pendant un peu moins d'une dizaine d'heures, le jeu se déroulant plus ou moins en temps réel le temps d'une nuit. Autant dire qu'on n'est pas mécontent d'avoir régulièrement des conversations avec Evelyn ou d'autres habitants du coin par talkie, parce que Jacob pourrait assez vite gagner la palme du relou de l'année tant il ne la boucle jamais, souvent pour raconter des trucs pas franchement palpitants. Ce qui crée, il faut bien le reconnaitre, un binôme très chouette avec Riley, tant leurs problématiques et les conflits qui en découlent sont différents et tant leur vision du monde diverge sur des points assez cruciaux.
Fréquence moyenne
La première heure du jeu est un poil laborieuse. Malgré quelques éléments de fantastique assez bluffants (et mettant en scène le talent de Night School pour les effets visuels et sonores sublimes), on s'ennuie un peu à donner la réplique à un grand dadais dont le principal drame dans la vie est d'avoir hérité d'une maison trop grande. Heureusement, l'irruption rapide d'événements extrêmement étranges et l'arrivée rapide de trois personnages venus perturber notre mission donnent à Oxenfree II un second souffle salvateur.
Ce qui frappe, c'est qu'à partir du moment où la dimension surnaturelle s'implante pleinement, l'aventure s'ouvre sur un déroulé beaucoup plus souple et modulable que dans le premier jeu. Oxenfree était une sorte de longue (mais passionnante) séquence faiblement interactive dans laquelle nos actions se résumaient en gros à choisir quelques réponses et à faire quelques choix déterminants. Sa suite nous laisse davantage de latitude dans l'action, et nous laisse des choix d'exploration beaucoup plus explicites, sous forme de quêtes et d'histoires secondaires.
Très rapidement, on réalise que la structure du jeu se divise assez clairement en tranches horaires. Chaque émetteur posé fait avancer la nuit, ce qui permet, entre ces moments, d'explorer librement la ville en profondeur pour y dénicher des indices ou des bouts d'histoires supplémentaires, mais également de discuter plus en avant avec ses différents habitants. Vous pourrez ainsi écouter les émissions locales, dont les programmes changent au fil des heures, mais aussi entretenir des relations radiophoniques avec une animatrice de la radio étudiante du coin, mais aussi avec votre responsable, un vieux marin, une garde forestière ou encore un amateur de surnaturel. Beaucoup de contenu optionnel, donc, qu'il n'est quasiment pas possible de dénicher en entier du premier coup, certaines décisions et certains embranchements vous fermant clairement quelques portes.
Comme le premier jeu, Oxenfree II est un jeu qui veut que vous le parcouriez au moins deux fois, ne serait-ce que pour en dénicher les fins alternatives. À mon avis, cela sera plus compliqué que lors de l'aventure d'Alex, précisément à cause de cette tendance à vous laisser davantage vous promener, ramasser des collectibles et attendre que vos potes du jour vous contactent par radio : une fois, ça passe, deux fois, on commence à bâiller et à voir les ficelles.
Allô à l'ovni
En parlant de ficelles, il faut bien admettre que sous ses couches (nombreuses) de paysages sublimes, de dialogues bien écrits et de choix très intenses, Oxenfree II me laisse un tout petit peu dubitatif. Quand il choisit de s'intéresser au versant surnaturel de son intrigue, il brille de mille feux : on a envie d'avoir le fin mot de l'histoire, et de créer une sorte d'arc final à toutes les intrigues lancées dans le premier épisode, qui s'étendent temporellement de la Seconde Guerre mondiale à 2023. Le scénario laisse la part belle au mystère et à l'horreur, en utilisant des procédés rarement vus dans des jeux du genre, notamment via des utilisations bien fichues du concept de vie après la mort, de dimensions parallèles ou de boucles temporelles.
Mais tout ceci est avant tout au service d'une conclusion à un jeu de 2016. Si commencer par Oxenfree II ne vous empêchera pas d'en apprécier l'essentiel, je déplore tout de même qu'une bonne partie de l'œuvre considère que non seulement vous avez bien en tête le premier volet, mais que vous avez déniché sa fin alternative, et que vous vous souveniez exactement de certains événements qu'elle impliquait. On a ainsi l'impression que toute la seconde moitié du récit est tellement centrée sur cette problématique de résolution que le nouveau casting proposé passe légèrement à l'as après la quatrième ou cinquième heure.
Riley est un personnage intéressant, en proie à un tournant assez radical dans une vie entachée par un relationnel familial compliqué, et c'est celle qui s'en sort le mieux dans le lot. Même si on n'échappe pas vraiment aux sempiternelles réflexions de "jeu indé" (jeu indé Netflix, certes) sur le passage à l'âge adulte, la dépression, les relations familiales brisées et le retour à la maison. Une vraie carte de bingo. Ceci dit, Oxenfree II s'en sort haut la main en arrivant à créer un personnage complexe et à brosser le drame qui traverse la jeune femme en toute subtilité. Quelques séquences hallucinées situées dans un hypothétique futur onirique touchent même au sublime.
Le reste des personnages n'a pas la même chance : dès la moitié du jeu, donc, après une scène assez folle d'inventivité graphique, une grosse partie du casting est évacuée. Les radios et les talkies se font soudainement beaucoup moins bavards, deux des trois antagonistes sont complètement absents, et Jacob semble complètement oublié de l'équation quasiment jusque dans les dernières minutes. Comme si Oxenfree II ne savait plus trop quoi faire de lui. Tout ceci reprend un peu vie lors de la dernière demi-heure, qui nous impose d'ailleurs un choix franchement bizarre de manière artificielle, mais qui marche plutôt bien en tant que mélodrame. On a cependant l'impression que toute cette nuit d'horreur radiophonique parlait davantage de l'île d'Ewards et du destin des personnages d'Oxenfree que des événements présents. On en ressort bluffé par ce que le jeu réussit, et légèrement frustré par le reste.
Oxenfree II: Lost Signals a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5 et sur Nintendo Switch.
Il faut y aller en l'ayant bien en tête : Oxenfree II est un des grands jeux narratifs de l'année, mais il passe tout de même un peu à côté de ce qu'il aurait pu être, en étant aussi arcbouté sur les souvenirs d'un récit écrit il y a déjà sept ans. On appréciera le conte surnaturel terrifiant et sublime qu'il nous livre, certes, mais je reste convaincu qu'une suite, qu'elle soit littéraire, cinématographique ou vidéoludique, devrait essayer d'avoir une proposition essayant à la fois de garder le meilleur et d'innover, tout en laissant une porte d'entrée bienveillante à celles et ceux qui entreraient dans une franchise par son dernier épisode. Oxenfree II: Lost Signals n'y parvient pas tout à fait. C'est une excellente suite, mais ça aurait pu être bien davantage encore.
Les + | Les - |
- Encore plus beau et spectaculaire que le premier | - Casting déséquilibré... |
- La dimension surnaturelle fonctionne très bien | - ... Et un peu sacrifié sur l'idée de faire une "suite" à Oxenfree |
- Sound design extraordinaire | - Quelques poncifs vraiment usés dans les rebondissements |
- Un scénario avec des embranchements plus intéressants que la moyenne du genre | - Les "quêtes secondaires" induisent un gros ventre mou |
- La narration via les stations de radio et les talkies n'est pas très creusée, mais l'idée est très intéressante |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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