Repose-toi, voyageur, assieds-toi sur ce coussin et prends donc quelques bouffées de hookah. Car la route est longue encore jusqu'au Fuseau qui jette au loin ses reflets d'argent, par-delà les collines salées, les jungles épaisses et les tapis de fleurs, là où vivent araignées électriques, mentalistes fous, poissons-mâchoires capables de découper le bras d'un homme. Entends-tu ce cri au loin ? C'est Gnuyu-Gnumugnoo Gnuyu-Gam Quickskipper, le gnou haï des marchands dromads pour avoir contredit un fameux théorème, et qui sauva jadis un jeune villageois d'Irsikish. Lui comme d'autres partageront l'eau avec toi, car il n'y a pas que des dangers au-delà de notre village ; l'aventure, c'est aussi le réconfort du dîner au feu de camp au milieu des moustiques vagabonds, et le rire cristallin de Q-Girl la Barathrumite. Mais à présent le soir tombe et les dunes deviennent plus dangereuses. Reprends plutôt une portion de matz aux pommes.
Attention les yeux : Caves of Qud est un roguelike traditionnel, c'est-à-dire de ceux où l'on incarne un personnage qui se déplace case par case et tour par tour, muni d'un inventaire délirant (dont 12 torches, un marteau-piqueur et une ruche portative) et où l'on craint à chaque instant de perdre toute sa progression. On ne va pas détailler outre mesure, on vient de faire un dossier complet sur le sujet. Contentons-nous de remarquer que CoQ coche toutes les cases, y compris un mode ASCII pour ceux qui aiment s'enfoncer des cure-dents dans les rétines. Rassurez-vous, la version graphique est largement suffisante – même s'il arrive parfois de perdre son personnage dans la richesse du décor.
Rogue & roll
Mais quel décor ! Le développeur Freehold Games a mis les bouchées doubles pour donner corps à un futur lointain, un peu orientalisant, où les monnaies d'échange sont l'eau potable et les secrets. Vous adorez lire des montagnes de texte ? Chaque objet est décrit avec soin. Vous vous en fichez ? Pas de problème, c'est totalement facultatif. De toute façon, Caves of Qud est bien bavard et on comprend vite qu'il va falloir laisser de la lecture pour plus tard. La plupart des villages, personnages et quêtes sont fabriqués procéduralement à chaque partie, dont l'Histoire même de Qud, racontée à travers la vie de cinq califes que l'on redécouvre à chaque fois.
Sautons donc dans les pixels de notre personnage. Il n'y a pas de "magie" dans le futur ; à la place, il faut choisir entre un personnage mutant – et les possibilités sont nombreuses : ailes, pyrokinésie, prescience, ou tout modestement la possibilité de déchirer le tissu de l'espace-temps – ou bien un "True Kin" pouvant s'augmenter à l'aide d'implants électroniques, ce qui revient finalement un peu au même, mais avec des choix différents.
Le joueur débutant aura tout loisir de tester les différentes configurations : en bon roguelike, Caves of Qud démolira sans ménagement ses premiers runs le temps d'acquérir quelques réflexes (visez rapidement une bonne armure pour encaisser les coups des scolopendres géants). Il faut un petit moment pour s'y retrouver dans les compétences, les mutations, se faire à l'agencement du clavier (on peut aussi naviguer à la souris, c'est un peu moins fluide à long terme) mais ce sas est relativement bref avant d'atteindre le premier plateau du personnage capable de survivre.
Qui pro Qud
La difficulté traditionnelle est toutefois contrebalancée par un univers relativement accueillant. Oui, le monde de Qud est rempli de bestioles qui veulent vous démembrer, vous griller ou faire exploser votre cerveau à distance, mais on peut aussi la jouer diplomate. En fait, toutes les créatures appartiennent à une faction plus ou moins hostile envers le joueur. On peut agir sur cette relation, notamment en choisissant un équipement adapté : enfiler une cape aux couleurs des nomades permettra de se faire passer pour l'un d'eux ; porter de grosses lunettes améliorera votre relation avec les insectes ; par contre, enfiler une chaude pelisse en peau de singe provoquera la haine des gorilles initialement placides. C'est malin, souvent drôle et ça fonctionne avec tout le monde. Un exemple qui montre que Caves of Qud va jusqu'au bout de ses idées, au point qu'on se demande pourquoi ce genre de mécanique est l'exception plutôt que la règle.
Ça ne semble pas équilibré ? Non, effectivement, mais les roguelikes ne l'ont jamais été. Le jeu est suffisamment difficile pour que ça passe, parce que même un build apparemment invincible peut se faire retourner par un ennemi imprévu. On l'a vu dans le dossier sur le sujet : il peut sembler paradoxal de faire et refaire l'histoire depuis le départ à chaque mort de notre personnage, c'est pourquoi Caves of Qud a mis en place un mode "roleplay" où l'on peut sauvegarder dans les villages amis, et même un mode "wander" où vous êtes copain avec tout le monde et qui récompense les actions sociales plutôt que le combat. À chacun son chemin ; après avoir avancé dans le mode roleplay pour découvrir le jeu, je suis personnellement revenu au build "journalier", qui change donc tous les jours (avec mort permanente, donc). Pas tant pour comparer ses performances avec les joueurs du monde entier que pour se frotter à des configurations différentes.
Rhalala, je m'étais pourtant promis de tempérer mon enthousiasme. Je devrais par exemple parler de la génération procédurale, qui marche globalement bien mais produit parfois des niveaux un poil biscornus : une suite de tout petits couloirs encombrés de palétuviers, ou bien une chambre absurde remplie de coffres. On reste donc assez loin de la perfection des donjons des roguelikes plus classiques comme Dungeon Crawl Stone Soup. Idem du côté du moteur narratif : la plupart des quêtes sont fabriquées procéduralement, ce qui peut causer des pertes de rythme quand on ne sait pas trop où aller ensuite. De toute façon, les missions aléatoires ne sont que des fetch quests toutes simples, en dehors de la trame principale un peu plus scriptée. Honnêtement, ça n'est absolument pas dérangeant, d'autant qu'elles sont toujours bien écrites : ce sont surtout des prétextes pour aller explorer ici plutôt qu'ailleurs.
Les belles histoires de Qud
Bref, ce sont les défauts de ses qualités : le système engendre tellement de choses que tout ne peut pas être parfait. C'est donc au joueur de trouver sa voie par lui-même, en profitant de l'inépuisable génération procédurale, capable de sortir soudainement de son chapeau un artefact, un allié ou une capacité qui renverse complètement la façon de jouer. Une machine qui lance des coléoptères amicaux autour de vous. Un chat-ninja au regard tueur. Une recette de cuisine qui vous fait pousser une glande à venin après chaque repas.
Et à côté de ça, plein de petites choses qui ne servent presque à rien d'autre qu'à plonger dans l'ambiance. La faim, par exemple : ce n'est pas un problème en soi, il faut juste allumer un feu de camp régulièrement pour que notre personnage se fasse la popote en piochant dans son environnement. Mais ça pose un moment, une atmosphère. Ça a beau être une tâche répétitive sans grand impact ludique – à moins d'avoir des capacités culinaires bien spécifiques – on ne s'en lasse pas.
En fait, vous savez quoi ? J'ai juste envie de vous raconter des bouts d'aventures au pif. Vous narrer l'histoire de glau, qui avait l'habitude de foncer sur ses ennemis avec ses quatre pattes et quatre bras jusqu'à un combat contre un énorme poisson qui lui arracha l'un de ces multiples membres.
Ou celle de glau (13e du nom), qui se frayait un chemin dans les donjons en pétant des nuages ultra-corrosifs, et qui pouvait voler, ce qui lui attirait la sympathie des oiseaux, mais perdit soudain son moustique de compagnie ; les insectes environnants, fous de rage, se jetèrent alors sur lui pour le dévorer.
Ou celle de glau (25e du nom), le gunslinger myope qui n'y voyait qu'à quelques mètres, mais avait un jour pu acquérir une ouïe surhumaine permettant de repérer les êtres vivants à l'oreille ; et qui mourut grillé par une horde de fourmis de feu, alors qu'il était poursuivi par une tribu d'homme-boucs revancharde dont il avait flingué le chef spirituel.
Ou celle de glau (31e du nom), horticulteur, grand cuisinier à ses heures perdues et meilleur diplomate que combattant, qui s'était gagné la cause de grands guerriers comme le chef du village de Shagbal, lequel pouvait se créer des images rémanentes de lui-même et cracher des langues de feu.
On s'arrête là ? Pas par peur de spoiler – il en reste largement, ne vous inquiétez pas – mais vous avez compris l'idée. Pour ce qui est de raconter une histoire, Caves of Qud a de la ressource. Ne vous laissez pas arrêter par son aspect austère et faites-lui confiance. Il vous emportera loin. Peut-être jusqu'au Fuseau. Qui sait ?
Live and drink, friend.
Vous connaissez cette sensation qui nous prend quand on entre dans Elden Ring ? Celle d'être propulsé quasiment sans aucune indication dans un monde étrange jusqu'à l'absurde, extrêmement hostile, et dans lequel on se sent pourtant parfaitement chez soi ? C'est exactement la même dans Caves of Qud, un fabuleux et inépuisable moteur à histoires. Est-ce que c'est le jeu de l'année ? Bien plus. Il est entré comme une fleur dans mon top personnel, a posé ses valises, et ne repartira plus jamais de mon disque dur.
Les + | Les - |
- Une source intarissable d'histoires | - Bah c'est un roguelike quoi |
- L'ambiance techno-orientalo-fantaisiste unique | - Quelques niveaux plus ou moins réussis |
- Des mécaniques fignolées avec amour |
glau
Se perd dans des mondes ouverts, dans les rouages de sa propre usine ou dans le fracas des chars, mais trouve toujours un petit chemin de fer pour rentrer.
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