Nous sommes en 1995, l’été, dans un petit village banal du Nord-Ouest de la France. Entre les baignades et les Snickers glacés à côté du micro lac à quelques kilomètres de là, c’est dans ce cadre que je vais découvrir les RPG. Ce genre grâce auquel Zali et moi faisons une rubrique spéciale dans chaque Pique Sel Ball (« Jok et Zali parlent de Persona et Disgaea »). Ce genre, je l’ai découvert avec un tactical RPG de la Mega Drive : Shining Force 2.
J’ai 12 ans, Jacques Chirac est notre nouveau président accompagné de son jeune premier ministre Alain Juppé. L’équipe de France de foot ne fait rien de particulier cet été-là, comme depuis un bon moment. Alliance Ethnik est au top, la métropole découvre Francky Vincent, Celine Dion et John Scatman cartonnent. Bref la France va mal mais il y a de l’espoir puisque La Haine est une réussite au cinéma.
Côté jeux vidéo, si l’été précédent aura été dédié à Virtua Racing sur Mega Drive, celui-ci commence sous le signe de l’attente des consoles « next gen ». La lecture du Consoles + spécial guerre des consoles qui parle de PlayStation et Saturn déjà sorties au Japon est le symbole de cette attente.
Le combat SNES/Mega Drive se termine et mon regard se porte vers la Saturn et ses promesses de jeux d’arcade à la maison (Virtua Fighter 2, Daytona, Sega Rally, …). Mais en attendant il faut bien s’occuper. Et pour ça il y a mon frère qui vient pour les vacances et avec lui il amène ce jeu dont je n’avais pas entendu parler. Il me le présente comme « trop bien parce que c’est la suite d’un jeu bien ». Il m’explique à quel point l’épisode précédent lui a pris du temps et qu’il y a plein d’énigmes, de combats, des dizaines de personnages et même de la magie et là j’ai juste envie d’y jouer tout de suite.
A la découverte des clichés
Shining Force 2 se lance et il me demande de choisir un nom pour mon héros, c’est une première pour moi. Habitué aux platformers, shmups et jeux de voitures… on ne me demande que de jouer habituellement. Cette question est posée par une étrange sorcière qui se veut la narratrice de l’histoire à venir. Je choisis donc un nom pour le jeune et vaillant épéiste qui me sera confié. Un héros qui se réveille au début du jeu, une quête épique, des elfes, des nains et de la magie. Une bonne partie de ce que je chercherai les années suivantes dans mes jeux est présent ici. Tous les clichés y sont mais quand ces clichés sont vus pour la première fois ils n’ont pas la même valeur, ni le même impact. L’idée même de parcourir un monde avec des villages et des PNJ est ce qui me séduit le plus dans cette nouveauté. Tout sonne tellement réaliste (sur Mega Drive, pour un enfant de 12 ans, pour rappel). La découverte d’un genre qu’on apprécie est comme beaucoup de découvertes : on cherche à revivre l’émerveillement originel à chaque nouvelle occasion. Tous les villages de tous les RPG que j’ai pu faire par la suite seront toujours jugés par rapport à ceux de Shining Force 2. Tous les personnages de magiciens seront comparés à Sarah et Kazin, les mentors me rappelleront Astal, les démons ambivalents pour Oddler et les grands méchants tout moches seront mis en concurrence avec Zéon. Un genre avec un nouveau langage donc mais aussi un nouveau rapport au temps de jeu.
Voila, c’est celui là le village banal (le miens, pas celui du jeu)
A l’époque je n’avais pas beaucoup de jeux par an, 2 ou 3 en moyenne. Je parcourais chaque recoin de chaque jeu pendant des semaines jusqu’à connaître le level design dans son intégralité. Chaque partie devenant alors de plus en plus courte et efficace, je pouvais en venir à me poser des contraintes comme finir Street of Rage 2 dans le mode de difficulté max en ne perdant aucune vie (et c’est pas évident). Ici il m’aura fallu deux semaines (oui DEUX SEMAINES) à temps plein, donc beaucoup d’heures par jour, pour venir à bout de Shining Force 2 lors de mon premier run. Alors habitué à fouiller de fond en comble chaque jeu pour tout découvrir, la taille impressionnante de la carte était une invitation à se perdre et ne jamais en voir l’intégralité. Et je crois avoir été sur chaque case de ce jeu, ou au moins j’ai essayé dans les années qui ont suivi.
En attendant l’âge d’or
Tous les éléments qui deviendront des poncifs tournés en dérision par la suite : le réveil du héros (pour une fois il n’est pas amnésique), la princesse en détresse, le démon qui resurgit d’un monde parallèle où il était enfermé, la prophétie, … j’aurais très bien pu les découvrir sur un grand nombre de RPG sortis dans la même période mais ce fût sur Shining Force 2. Les deux semaines n’auraient sans doute pas été de trop sur ces autres titres puisqu’il aurait fallu parler Japonais dans bien des cas. Ce qu’on peut appeler l’âge d’or du JRPG n’était pas encore arrivé malgré quelques timides essais de sorties européennes.
Les RPG étaient des choses étranges à cette époque. Réservés au marché japonais et parfois américain, ceux qui arrivaient chez nous n’étaient pas traduit dans la langue de Francis Cabrel. J’avais 12 ans et l’anglais que je maîtrisais se résumait à mon année de 6ème et des menus de jeux vidéo (start, options, two players, un gros vocabulaire donc). J’ai dû m’équiper de mon dictionnaire Harrap’s pour parcourir ce premier RPG et je dois avouer que ma motivation en cours d’anglais n’était sans doute pas étrangère à ma pratique du jeu vidéo. Les RPG deviendront quelques années plus tard un genre majeur chez nous avec l’arrivée un 17 novembre 1997 d’un certain Final Fantasy 7.
Le studio responsable du développement, nommé « Sonic! Software Planning » à l’époque, récidivera avec un Shining Force 3 sous forme de trilogie sur Saturn. Cette trilogie, dont seul le premier épisode sera traduit et vendu en Europe, reste un grand regret pour beaucoup de joueurs (surtout moi en fait). La Saturn allait mal mais l’engouement nouveau autour du RPG laissait espérer un second souffle qui n’aura jamais lieu.
Ayant parcouru de nombreux titres depuis, des Final Fantasy, Breath of Fire, Tales Of et bien d’autres, j’ai pu creuser le genre. Je rejoue pourtant régulièrement à Shining Force 2, il n’est pas le meilleur RPG auquel j’ai pu jouer, il n’est pas non plus le plus beau ni le mieux écrit, mais il représente la rencontre avec le genre auquel j’ai le plus joué depuis. Cet été là je n’ai pas juste découvert un titre mais j’ai découvert un genre majeur qui restera associé à ce jeu pour la suite de mon parcours de joueur.
JoK
J'aime les chiffres, tous les chiffres, et aussi les jeux vidéo mais pas tous
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