J’ai déjà eu le plaisir de vous parler du travail si cher à mon cœur de Danny Baranowsky, pas plus tard qu’en décembre dernier, quand j’évoquais dans le calendrier de l’avent mon coup de cœur plus musical que vidéoludique pour Cadence of Hyrule. Car oui, Danny B. a réussi l’exploit de me faire acheter une Switch par la seule force d’un album et de son nom : j’aime sa musique à ce point, et ce depuis le jeu flash Canabalt et son incroyable RUN!. Et en démarrant ces chroniques musicales, bien sûr que j’avais déjà en tête de revenir sur son travail. Et bien qu’il se soit fait un nom en tant que compositeur attitré d’Edmund McMillen, avec les incroyables BO de The Binding of Isaac et Super Meat Boy, les deux anciens compères sont depuis brouillés et le duo Ridiculon a pris la relève à partir de The Binding of Isaac : Rebirth. Ce qui n’a pas empêché Baranowsky de vivre sa meilleure vie ailleurs et notamment avec la – très riche – bande-son qui nous intéresse aujourd’hui : celle de Crypt of the NecroDancer.
Une BO de jeu de rythme…
Et avant de vraiment parler de la BO, il serait de bon ton de rappeler le principe du titre de Brace Yourself Games, puisque sa structure et son gameplay lui sont étroitement liés. Crypt of the NecroDancer est un donjon crawler, soit un jeu demandant d’explorer, piller et massacrer tous les occupants d’un donjon étage par étage, jusqu’à son boss final. La particularité étant ici que ledit boss final se trouve être le NecroDancer et que celui-ci a maudit le cœur de notre héroïne Cadence, l’obligeant à se déplacer selon ses pulsations, au rythme de la musique du donjon – diégétique donc, on y revient ! Et c’est cette association entre donjon crawler et jeu de rythme qui rend la bande-son de Crypt of the NecroDancer – ainsi que son impact sur le jeu, de sa structure au gameplay, en passant par sa difficulté – si unique.
Comme dans environ tous les jeux que nous connaissons – à l’exception de titres se basant sur de la musique plus adaptative, mais nous y reviendrons une autre fois – chaque piste de la bande-son de NecroDancer correspond à un niveau bien défini, au point même que dans l’album, chaque nom de morceau soit accompagné de l’étage et de la zone auquel il est associé – Crypteque (1-2) est par exemple le morceau du deuxième étage de la zone 1. Là où se trouve la première différence, c’est au niveau de l’impact qu’a la musique sur le déroulement du niveau. Jeu de rythme oblige, le joueur, ainsi que les ennemis, se déplacent tous en rythme, marqué par une barre de pulsations en bas de l’écran. Si les adversaires ne peuvent pas rater de battements et se déplacent ainsi en continu, le joueur sera lui pénalisé s’il sort du rythme, par une annulation de son déplacement, la perte de son multiplicateur, voire – dans les modes de jeu les plus vénères – par la mort, punition d’autant plus sévère que le jeu est un roguelite.
Et puisque la rythmique des morceaux est au cœur du titre, il est naturel que la difficulté ne soit pas uniquement basée sur des adversaires plus violents, mais également sur la construction des morceaux. Ainsi, le courant et confortable rythme binaire en 4/4 des morceaux de la zone 1 laissera sa place au rythme ternaire en 12/8 de la zone 2, moins instinctif et répandu et – malheureusement pour le nullos que je suis – conservé dans la zone 3. Zone 3 qui se payera en plus le luxe de proposer des étages divisés en deux biomes – feu et glace – mettant en place deux versions – metal et électro – du même thème musical selon la partie du niveau explorée, pour plus de confusion. Un rythme qui reviendra à la normale, c’est-à-dire en binaire, dans la dernière zone, non pas que le jeu soit clément envers le joueur, mais pour ne pas s’additionner au défi que constituent les trois étages suivis des deux ultimes boss. Car même avec un rythme plus familier, il faudra s’accrocher.
… qui en dicte tous les aspects
Au-delà de ces considérations rythmiques et de difficulté, la bande-son de Baranowsky s’introduit par tous les autres pores de Crypt of the NecroDancer. Contrairement à bien d’autres titres, où la fin d’un morceau ne fait que relancer la boucle ou démarrer une autre piste, la fin d’une musique ici déclenche la fin du niveau. Peu importe que vous ayez vaincu le miniboss ou que vous soyez en train d’explorer : vous passerez à la suite. Ce n’est ni vous, ni votre progression de l’étage qui déciderez d’un changement de niveau, mais bien la BO, plaçant ainsi un chronomètre invisible à chaque étage et demandant d’écouter et connaître consciencieusement chaque morceau (sauf si vous êtes comme ma copine et que vous coupez le son et tracez). En plus d’une couleur musicale plus ou moins en rapport avec l’environnement – le metal pour le feu, le dub pour les champignons, des basses plus énervées pour les niveaux électrisés du DLC -, les pistes servent tour à tour à donner des indications dans les niveaux, comme le chant du marchand – bien plus qu’une vanne – qui s’intensifie à mesure que l’on s’approche du magasin, indiquant ainsi sa position ; mais aussi de mécaniques de combat, comme les pauses à respecter dans le combat contre King Conga ; d’armes, comme ces tambours qui permettent de rester statique le temps d’un battement ; ou de malus, quand l’attaque d’un fantôme coupe momentanément la musique.
Et alors que la présence de la bande-son ne pouvait être plus envahissante, j’ai le plaisir de vous annoncer qu’il n’existe pas une mais bien sept versions alternatives de la bande-son de Baranowksy. Finir le jeu avec Cadence, notre personnage principal, ne conclut pas l’histoire mais débloque le personnage de Melody, seulement armé d’un luth doré, dont l’aventure musicale est entièrement recomposée par A_Rival dans un style beaucoup plus axé EDM. L’emmener jusqu’au bout du jeu déverrouillera à son tour le fameux personnage d’Aria – personnage le plus difficile du jeu, compte tenu des règles épouvantables qui lui sont assignées – et la revisite metal de l’OST par FamilyJules (qu’à titre personnel je trouve beaucoup moins intéressante). Un an après sa sortie, deux nouveaux albums de remix s’ajoutent à la liste, avec une version MIDI par Jake Kaufman et une new wave par Girlfriend Records, très vite suivis par une version dite Amplified pour le DLC du même nom, liée au personnage de Nocturna et composée par OverClocked ReMix, ainsi qu’une version chiptune par la merveilleuse Chipzel (Dicey Dungeons, SuperHexagon) et enfin – OUF – une bande-son crossover avec Danganronpa, composée par Masafumi Takada. Bien plus que des musiques supplémentaires, ces bandes-son alternatives donnent un tout autre sentiment au jeu, en changeant a minima le rythme des niveaux, quand ce n’est pas le personnage jouable – et ses caractéristiques propres – ou le contenu des salles.
La musique de Danny Baranowsky – et ses compères – est plus qu’une simple bande-son, au même titre que Crypt of the NecroDancer est plus qu’un simple jeu de rythme. Les deux sont liés à un niveau très étroit et rarement la musique n’aura eu autant d’impact sur autant d’aspects d’un jeu, en décidant de son rythme, sa difficulté, son gameplay et sa structure, se posant ainsi comme pire ennemie et meilleure assistante du joueur. En plus d’être de fantastiques albums à écouter et ré-écouter.
Pour aller un peu plus loin
Parce que parler musique est une malédiction qui pousse à digresser sans-cesse, voici quelques recommandations si vous voulez poursuivre un peu sur ce sujet.
- Celeste, OST initialement composée par Lena Raine mais aux pistes alternatives variées
- Sayonara Wild Hearts, avec sa structure calquée sur celle d’un album et ses niveaux qui reprennent la formation couplet/refrain
- Hotline Miami 2 et Furi, aux niveaux construits autour de leur bande-son et mettant à l’honneur les compositeurs et morceaux
- Cadence of Hyrule, qui va beaucoup moins loin dans son concept mais aux compositions non moins qualitatives
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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