Antagonistes est une série de portraits non exhaustifs de figures du jeu vidéo qui viennent s’opposer au protagoniste que l’on incarne. Mais plus que de simples vilains, ces « méchant(e)s » retenu(e)s possèdent à chaque fois une ou plusieurs caractéristiques qui les rendent vraiment uniques. Évidemment, puisqu’il s’agit d’aborder leurs actions et leurs parcours, parfois en profondeur, les portraits contiennent très souvent des spoils majeurs. Vous voilà prévenus !
Fière de pouvoir rejoindre l’appartement de son petit ami, la protagoniste installe ses affaires. Elle part de sa colocation avec l’espoir de fonder quelque chose avec lui, une démarche qui vient logiquement marquer une étape importante dans leur relation. Elle déménage, tente de s’adapter et peu à peu cela devient clair : la cohabitation va être compliquée. Voilà ce qu’on comprend du 4ᵉ niveau du jeu Unpacking, qui se concentre donc sur le moment où le Petit Ami accepte chez lui la protagoniste. Sauf que tout cela, ça n’est jamais donné directement par du texte ou une cinématique. Aucun des deux personnages n’est là physiquement pour interagir, narrer ou dialoguer afin d’expliquer ce qui se passe.
Et c’est là la première particularité de l’antagoniste d’Unpacking : sa manière d’exister sans jamais être présent ou décrit. C’est d’ailleurs une force du jeu en général et ce qui participe à sa singularité et sa réussite critique. Durant toute l’aventure, les personnages n’existent qu’au travers de leurs affaires et de leurs logements, c’est par de petits détails matériels que va se transmettre l’ensemble de la narration. Un souvenir rapporté d’un pays étranger, une peluche qui traverse les années, et donc les niveaux, un objet religieux inattendu, une accumulation de DVD et Blu-ray aux pochettes reconnaissables, etc. Pour le Petit Ami, c’est le cas aussi puisqu’on se retrouve projetés directement dans son appartement. On y devine ses principaux loisirs et passe-temps, on y constate ses goûts en matière d’ameublement, ce qu’il met en valeur au mur, ce qui occupe le plus d’espace. Bref, on voit se dessiner peu à peu une représentation de qui il semble être. Un tour de force de narration environnementale.
Ainsi, dès le début de la phase d’emménagement, on cherche à placer les objets de la protagoniste dans cet endroit tout nouveau. Le manque d’espace libre est frappant, mais on peut considérer au départ que c’est normal, puisqu’on arrive chez quelqu’un qui vit déjà là. Sauf que l’on se rend vite compte que cela pose un énorme problème : un grand nombre d’objets sont inamovibles, contraignant totalement l’installation. Cela sous-entend aussi que la venue de la protagoniste était plus tolérée qu’attendue avec impatience, car c’est à la jeune femme de ranger les rares affaires déplaçables de son petit ami si elle veut avoir de la place.
Et c’est de là que découle une autre particularité de l’Antagoniste d’Unpacking : le fait qu’il soit la représentation d’un comportement, d’une situation et pas seulement un personnage invisible. À chaque moment où l’on veut placer un objet personnel, on se retrouve soumis à sa vision, son acceptation de notre présence, dans un lieu qui pourtant est censé être commun. Ce qui fait qu’on est surpris que la protagoniste n’ait quasiment pas d’espace pour ses affaires de dessin, alors même que, au travers des précédents niveaux, on a vu à quel point c’était quelque chose qui lui importait personnellement, mais aussi professionnellement.
L’image du diplôme que l’on se voit obligé de cacher sous le lit, car unique endroit accepté par le jeu pour finir le niveau, viendra parachever tout ce travail de symbolique. Elle fait alors naître, à mon sens, des sentiments plus forts que ce que peuvent transmettre de nombreux autres ennemis vidéoludiques. On sait à quel point le dessin compte pour elle et ce diplôme, c’est la reconnaissance de la qualité de son travail, l’avoir encadré prouve en plus à quel point ce n’est pas anodin. Il s’agit vraiment de quelque chose d’essentiel pour la protagoniste.
Le développeur d’Unpacking a donc fait du Petit Ami une figure agaçante, égoïste, voire oppressive pour certain(e)s et du niveau de son appartement un moment de frustration constructive. C'est-à-dire que la difficulté de trouver un espace libre à la majorité des objets de la jeune femme n’est pas juste une proposition de gameplay, cela raconte quelque chose. On a pu découvrir la chambre d’enfance de la protagoniste dans le premier niveau, on l’a ensuite suivi dans son logement d’étudiante puis on a accompagné sa mise en colocation. À chaque fois, on y retrouvait plus d’espace et de liberté. Quand arrive le niveau de l’appartement du Petit Ami, tout ça est rejeté. L’espace est réduit, les aspirations personnelles et professionnelles se font discrètes, voire camouflées, et on décèle une forme de désenchantement qui transpire de l’environnement : aux couleurs vives et à la diversité créatrice des objets de la protagoniste s’opposent la sobriété froide et le design sombre de ceux de l’antagoniste. Compte tenu des autres éléments ressentis en tentant d’installer les affaires de la jeune femme, il ne s’agit pas de simples différences : Unpacking nous décrit là une relation qui promet d’être conflictuelle. Ce qui sera effectivement révélé dans le niveau suivant.
Ainsi, le Petit Ami n’est pas juste un ennemi en tant que figure, mais aussi une manière d’agir, une façon de représenter une situation. Une création vidéoludique brillante, permettant même à certain(e)s de pouvoir se retrouver dans celle-ci, que ce soit parce qu’ils ou elles l’ont subi ou parce qu’ils ou elles l’ont fait subir (volontairement ou non).
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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